1487-1503 : ''La vie est une grande désillusion. ''

Aliénor Corbett vit le jour en l'an de grâce 1487, très certainement dans un quartier de Londres. Fille d'un couple de tisserands ayant fait fortune, la jeune fille grandit dans un milieu très protégé. Elevée dans le luxe et le respect des dogmes de l'Eglise, elle apprit auprès de sa mère les arts délicats de la broderie et de la musique, ainsi que toutes les autres choses qui feraient d'elle une parfaite maîtresse de maison.
Vers l'adolescence, la jeune femme s'éveilla aux découvertes de son temps et au monde de la science, réservé aux hommes. Elle écoutait avec ravissement les récits fantastiques que l'on faisait du Nouveau Monde, tout juste découvert, et rêvait d'aventures.
A l'aube de ses 16 ans, elle fit la connaissance d'un jeune homme de cinq ans son aîné. Il était venu de la province trouver un maître, comme c'était souvent le cas à cette époque. Ses connaissances en science la fascinèrent immédiatement, tout autant que le charisme du personnage. Bien vite il commença à séduire la belle en cachette.

1503-1505 : ''Le premier amour réclame seulement un peu de sottise et beaucoup de curiosité''

La belle jeune femme eu vite fait de céder aux avances de Thomas. Ils décidèrent de se retrouver le soir pour échanger quelques baisers et se confier l'un à l'autre. Il racontait à la jeune femme l'avancée de ses recherches, les nouvelles règles qu'il avait apprises... Il lui expliquait tout avec un certain orgueil mais Aliénor ne voyait pas l'attitude pédante de son amoureux. Seuls comptaient ses paroles, les connaissances qu'elle emmagasinait grâce à lui et la tendresse qu'ils se témoignaient mutuellement.
Leur relation dura deux ans. Deux ans à s'échanger d'aimables tendresses sans que personne ne le sache jamais. Bien sûr, Thomas aurait voulu pousser le vice jusqu'à sa consécration mais la jeune oie blanche se refusa toujours à lui, préférant qu'il l'épouse d'abord.

1505-1506 : ''Il semble bien souvent que les hommes ne mettent guère en pratique les beaux sentiments dont ils font si volontiers parade''

Vers décembre de l'année 1505 cependant, Thomas annonça à Aliénor qu'il partait en voyage avec son maître. Ils ne se reverraient plus pendant quelques années mais il promit à la jeune femme d'attendre qu'ils se retrouvent pour unir enfin leurs deux vies devant Dieu. La belle accepta sans s'opposer et le laissa partir, bien que son cœur soit en deuil. Ils correspondirent plusieurs mois après son départ, toujours en cachette de ses parents. Toujours, ils se conseillaient la patience dans l'attente de la fin de son voyage et faisaient des projets sur leur vie future, les enfants qu'ils auraient ensembles et l'endroit où ils vivraient. Aliénor rêvait d'un château dans la campagne, où elle pourrait aider son mari dans ses expériences.
Mais au fil des mois, les lettres du jeune homme se firent plus courtes, plus espacées. La jeune femme commença à s'inquiéter et son jeune cœur se trouvait rongé par les doutes. Ses craintes se confirmèrent le jour où elle reçut le pli fatidique. Thomas, fatigué d'attendre, s'était trouvé une maîtresse et décidait de mettre fin à leur relation.
Ce fut on coup au cœur pour la jeune femme. Désespérée, elle tomba dans un chagrin profond, au bord du désespoir. Il l'avait abandonnée dès qu'il en avait eu l'occasion, elle n'avait jamais été qu'une passade, un bouche-trou. Petit à petit, le chagrin se changea en ressentiment, la jeune femme se redressa et reprit petit à petit goût à la vie. Sans arriver à occulter complètement le souvenir du scientifique de son esprit, elle parvint à le voiler et à passer outre pour reprendre une vie épanouie.

1506- Février 1509 : ''La tendresse et le ridicule ont parfois un air de famille...''

Aliénor qui s'était petit à petit éloignée de l'Eglise et des activités qui seyaient à une jeune femme de son rang social reprit ses études avec plus d'assiduité auprès de sa mère, de sa gouvernante et de son maître à danser. Son nom commençait à apparaître dans les conversations et fleurissait souvent sur les lèvres des jeunes hommes à marier. Mais la jeune femme se montra extrêmement difficile avec ses prétendants qu'elle jugeait toujours trop orgueilleux, trop bornés ou pas assez fortunés. Thomas avait placé la barre très haut et la belle inconsciente cherchait dans chaque prétendant, une copie de celui qu'elle avait aimé jadis.
Cette comédie dura trois ans, le souvenir du beau scientifique s'estompant un peu plus à chaque nouvelle rencontre. En 1509, l'héritière fit la connaissance d'un jeune homme de bonne famille qu'elle subjugua au premier coup d'oeil. William était un garçon robuste et bien fait quoiqu'un peu lourdeau ; cependant, il compensait sa faiblesse d'esprit par une gentillesse sans bornes et des attentions délicates. La jeune femme sembla trouver son bonheur dans un mariage de tendresse plus que d'amour : les fiançailles furent très vite conclues.

Avril 1509 - Mai 1509 : ''Toute vraie passion ne songe qu'à elle''

Alors que les préparatifs du mariage avançaient à grand pas, un nouveau grain de sable vint bloquer les rouages de la vie bien rangée d'Aliénor. Un soir d'avril, des coups répétés à sa fenêtre la firent se lever au beau milieu de la nuit pour voir apparaître le visage de Thomas dans la pâle clarté de la lune. Sa maîtresse, lassée après quelques mois de liaison, l'avait quitté sans prévenir et son maître était mort soudainement d'une fluxion de poitrine. Le corps n'avait pas pu être rapatrié et la cérémonie funèbre avait mangé leurs derniers écus ; il était revenu à Londres à pied, sans un sou vaillant. Toute une partie de la nuit, il lui tint un discours quasiment larmoyant sur son repentir, son dégoût de lui-même et la passion qu'il avait toujours pour elle.
La jeune femme finit par lui annoncer qu'elle était sur le point de se marier et quitta Thomas sèchement mais une partie de son cœur avait déjà été reprise par cet homme revenu de nulle part. Le scientifique se présenta à la fenêtre toutes les nuits, réduisant chaque fois un peu plus les résistances de la belle. Aliénor savait que le devoir moral et les convenances exigeaient qu'elle épouse William et cesse de voir Thomas mais le feu qui embrasait son cœur était si violent qu'elle céda au bout de trois semaines. Elle vit son amant en cachette les premiers temps mais leur amour inassouvi depuis trop longtemps ne pouvait pas être vécu pleinement tant que la jeune fille serait enchaînée à sa famille.
Reniant toutes les règles qu'on lui avait jadis inculquées, la jeune femme s'enfuit avec son amant un soir de Mai, emportant avec elle deux malles contenant ses effets personnels et la moitié des économies que son père conservait jalousement.
Elle ne devait plus jamais entendre parler de sa famille qu'elle avait projeté dans la ruine, le scandale et la honte.

Mai 1509 – Mai 1512 : '' Seuls ceux qui les ont éprouvées peuvent concevoir les séductions de la science''

Aliénor et Thomas s'enfuirent dans la pénombre avec tous les bagages qu'ils avaient pu emporter. Ils avaient prévu leur voyage à l'avance et rejoignirent l'hôtel de poste le plus proche, où un véhicule les attendais. Ils quittèrent Londres pour s'exiler dans la lande, non loin du pays de Galles. Là bas se trouvait un vieux château dans un état de délabrement encore raisonnable qui avait autrefois appartenu à la famille de Thomas avant d'être abandonné à cause du manque d'argent de sa famille. Ils passèrent les premiers mois à aménager l'intérieur, rénovant les salles dont ils se servaient et laissant les autres ailes dans l'état où elles étaient. Ils vécurent tout d'abord de l'argent qu'avait emporté la jeune femme et passèrent leurs journées à mener des expériences, ne sortant du domaine qu'une fois par semaine pour aller acheter des vivres à la ville voisine.
Quand leurs économies furent mangées, ils vendirent une partie du mobilier qui dormait dans les greniers pour continuer à mener leur train de vie. Puis, sur l'initiative de la jeune femme, Thomas ouvrit une boutique d'apothicaire et se mit à prodiguer des soins aux habitants.
Aliénor aida son amant dans ses expériences, en apprenant toujours plus sur les mathématiques, la biologie et la chimie. Elle était fascinée par ce qu'ils découvraient et ne rechignait pas devant les cadavres qu'ils déterraient pour tester leurs dernières trouvailles. Le jeune homme la forma aussi aux arts les plus charnels, transformant celle qui se refusait à lui par respect de la chasteté en une véritable lionne.
Durant l'hiver 1510, le couple entra pour la première fois en contact avec des ouvrages traitant des sciences occultes. Au fur et à mesure de leurs découvertes, ils apprirent l'existence de créatures surnaturelles comme les Loups-Garous ou les Vampires. Thomas commença à entrer en contact avec des Hunters peu vertueux qui lui procurèrent organes, sang et membres de ces créatures en échange d'espèces sonnantes et trébuchantes.

Mai 1512 – Janvier 1513 : ''Science sans conscience n'est que ruine de l'âme''

Pendant trois ans, le couple éprouva les joies d'un ménage heureux, jusqu'au printemps de l'an de grâce 1512. Après une des plus exquises étreintes charnelles qu'ils avaient pu partager, Thomas conduisit Aliénor dans leur laboratoire pour essayer ''quelque chose.'' L'homme de science qui avait étudié depuis longtemps le mode de transformation des Vampires au travers de livres jugés maudits, voulait maintenant pouvoir étudier un spécimen vivant et fraîchement transformé. Trop pleutre pour aller enlever un gamin dans le village voisin, il s'était rabattu sur sa compagne, idéal de beauté et d'intelligence qu'il se targuait de pouvoir transcender dans l'immortalité.
L'infortunée jeune femme n'eut pas le temps de comprendre ce qui allait lui arriver ; il était déjà trop tard.

Une dague lui transperça le ventre, déchirant ses chairs tendres ; elle se sentit partir dans un hurlement de douleur avec pour dernière image le triste spectacle de Thomas armé, les mains couvertes de son sang. Ses yeux se remplirent de larmes et un voile opaque brouilla sa vision. Soudain, un liquide au goût étrange, métallique, passa entre ses lèvres. Elle l'avala sans réfléchir, cherchant avant tout à survivre. Elle sentit qu'on la soignait. Il avait fait exprès de ne pas toucher les organes vitaux afin de la vider de son sang mais de ne pas compromettre ses chances de survie. Quand la plaie fut garrotée, il la déposa dans un lit, au fond d'une cage en argent et attendit. La jeune femme eut mal. Elle hurla sa souffrance durant des jours, croyant que la fin était proche. Puis elle se réveilla avec une insatiable envie de sang. Elle comprit alors ce que Thomas lui avait fait.

Plusieurs fois, elle tenta de s'échapper mais dès qu'elle réalisa que l'argent lui était néfaste, elle se recroquevilla dans un coin et attendit. Elle se nourrit au début de sang des gibiers que l'homme qu'elle pensait aimer lui apportait. Elle le détesta de tout son être mais elle ne pouvait plus rien faire d'autre qu'attendre. Il élabora un produit destiné à calmer sa soif de sang, à l'empêcher de tuer pour se nourrir. Peu à peu, elle s'accommoda à ces palliatifs, à ce nouveau mode de vie. Petit à petit, l'accablement se changea en colère qui engendra elle-même la haine dans le sein de la jeune femme. Dans l'unique but de se venger, elle joua la comédie, faisant croire à l'homme qu'elle ne lui ferait jamais de mal, qu'elle l'aimait toujours. Il se laissa convaincre et lui ouvrit. On ne sait pas précisément ce qui se passa cette nuit là mais au matin, une vingtaine de mouettes s'affairaient sur la lande, autour d'un tas de chairs informes.

1513 – 1780 : ''Rentre ! C'est le moment où la lune réveille le Vampire blafard sur sa couche vermeille.''

Durant plus de deux siècle, le château témoin de ces funestes événements resta inhabité. Un voyageur sur la lande avait découvert le charnier, alerté par les cris des mouettes. Il ne fallut pas beaucoup de temps aux villageois pour conclure que ce couple mystérieux qui vivait sur la colline avait été puni par une créature du diable pour leurs agissements contre nature. Cette sordide histoire qui coûta la mortalité à la jeune femme, le bedeau en fit le fil rouge de son sermon pour démontrer à ses ouailles combien la science était dangereuse et menait à sa perte quiconque décidait de s'y consacrer. Au fil des ans, le drame devint un fait divers, le fait divers une anecdote et l'anecdote une légende.
Bien à l'écart, la jeune femme vécut cloitrée dans ce bâtiment que plus personne n'approchait. Seule mais libre, elle consacra les premières années de sa vie d'Immortelle à cerner les pouvoirs que lui conféraient sa nouvelle nature. Les quelques rares ouvrages qui traitaient de la chose étaient inexacts, incomplets ou écrits dans un langage qu'elle comprenait mal. Ce fut sur le terrain qu'elle appris, observant tour à tour les effets du soleil, du sang humain et des palliatifs sur son organisme. A partir des notes de Thomas sur les capacités des créatures de la nuit, elle se découvrit quelques différences notables parmi lesquelles une meilleure résistance au soleil et une mauvaise assimilation du sang humain. Ce fut pour cette raison que la jeune femme reprit la fabrication des cachets qu'elle avait ingéré pendant sa convalescence, cherchant toujours à les améliorer par des essais plus ou moins hasardeux. Dans le même temps, elle étudia tous les livres qu'elle put dénicher dans l'immense demeure. Médecine, Mathématiques, Philosophie... Pas un sujet ne la passionnait moins que le précédent.
Elle entreprit aussi de parfaire son éducation musicale en déchiffrant seule des flopées de partitions qu'elle trouva près d'un clavecin. L'apprentissage de la musique sans maître se révéla ardu mais Aliénor se montra patiente. Après tout, elle avait l'éternité devant elle...
Quand la bibliothèque ne lui suffit plus, la Vampire décida d'organiser des escapades nocturnes pour se procurer les derniers traités à la mode ainsi que des ouvrages plus sombres, cachés au cœur de sordides boutiques d'antiquaires ou au fond des cryptes humides des abbayes qui parsemaient ce coin de l'Angleterre. Les sciences occultes se révélèrent bien plus complexes à étudier que le reste. Il fallait démêler la véracité du mythe, ce qui se trouvait compliqué quand elle n'avait vu aucun de ces ''monstres'' de ses propres yeux.

Comprenant qu'elle ne pouvait faire autrement que les approcher, elle décida d'apprendre le maniement des armes pour se défendre face à eux. Le vieux manoir regorgeait d'armes qui, une fois dépoussiérées, feraient un très bon moyen d'opposition. N'ayant prit aucun cours, elle développa ses propres mouvements, s'appropriant un style très technique et incroyablement dangereux par sa précision mortelle.
Quelques mois plus tard, lors de sa première sortie, la jeune femme faillit bien mourir. Attaquée par un loup-garou, elle se défendit farouchement mais réalisa que le fer ne les blessait pas. Il fallut encore deux ans de recherche et beaucoup de hasard pour comprendre que l'argent était la seule façon de venir à bout de ces monstres... mais d'elle aussi.
Aliénor passa plusieurs mois à faire des recherches sur les métaux pour concevoir les plans d'une épée qui lui permettrait de venir à bout des créatures de la nuit, qu'elle fit ensuite forger dans le plus grand secret.

Ainsi alla sa vie, pendant plus de deux siècles durant lesquels la jeune femme ne cessa de s'instruire, jusqu'à en oublier son propre nom.

1780 – 1783 : ''We're creatures of the underworld. We can't afford to love''

Vers 1780, lorsqu'elle se jugea assez talentueuse et puissante pour rejoindre le monde des humains, elle partit pour Southampton, ne manquant pas de brûler le château où elle avait logé jusqu'à présent. Habillée de ses plus beaux effets, ses cachets bien à l'abri dans une boîte de métal et ses armes dissimulées entre les robes qu'elle charriait dans une valise. Elle préféra voyager de nuit, bien qu'elle pouvait se déplacer de jour à condition d'être entièrement couverte pour se protéger des rayons du soleil. Dans la première ville qu'elle croisa, elle tira le peu d'argent qu'elle pouvait de ses nippes et s'acheta une robe plus contemporaine pour passer inaperçue. La vitesse surhumaine que lui donnait sa nature lui permit de rallier la ville portuaire en très peu de temps. Mais une fois sur place, comment se faire une place dans cette ville ? Elle ne pouvait pas se trouver de travail de jour, n'avait aucun moyen financier. Jamais on ne songerait à engager de femme scientifique, dans ce monde où les créatures du sexe faible ne servaient qu'à la décoration et au bon plaisir de ces messieurs.
Faute d'une autre issue possible, la jeune femme choisit la voie de la prostitution. Grâce à ses manières délicates, son beau visage et sa connaissance de l'art d'aimer, elle parvint à trouver une place dans un des plus chics établissements de la ville. Ainsi, elle disposa d'un appartement confortable, de vêtements soyeux et élaborés bien que très aguichants et d'un confort qu'elle n'aurait pas pu trouver ailleurs. L'argent qu'elle ne reversait pas à sa maquerelle, elle l'utilisa pour s'acheter les ingrédients nécessaires à la fabrication de ses cachets, heureusement d'un coût peu élevé. Ce fut au moment où elle se présenta dans cette maison de passe qu'elle choisit avec ironie le prénom de Chastity, en hommage à la vertu qu'on lui avait ôtée et qu'elle s'apprêtait à perdre à nouveau. Pour expliquer son ''allergie à la lumière'', elle prétendit être atteinte de protoporphyrie érythopoïétique

En peu de temps, de jeunes hommes de bonne famille devinrent des clients réguliers de sa couche, ainsi que des nobliaux plus âgés mais incroyablement pervers, sous leurs airs de respectabilité. Certains se montrèrent odieux avec elle, d'autres, infiniment délicats. En particulier un jeune clerc de notaire qui venait la voir presque toutes les semaines. D'une beauté sombre, cet homme doux ne la prenait pas seulement pour son bon plaisir et restait toujours attentifs aux sensations de sa partenaire. Sous ses attentions délicates, il ne leur fallut que quelques mois pour sympathiser. La Vampire lui conta son histoire, largement édulcorée pour ne pas l'éveiller à l'existence de créatures comme elle ; ce qui l'émut profondément.
Après trois longues années passées à être ''la femme de tout le monde'', Johan lui fit une proposition un soir, après un de leurs longs ébats. Il connaissait un vieil homme passionné de science, veuf depuis longtemps et fortuné, à la recherche d'une femme pour meubler ses vieux jours. Il se proposa de la faire passer pour une lointaine cousine à la recherche d'un mariage avantageux et respectable.
Après un arrangement avec la maquerelle, il fut décidé qu'elle serait présentée au cours d'un bal qui devait se tenir dans le courant de la semaine. Le jeune homme se chargerait de lui fournir la toilette nécessaire, pendant qu'elle peaufinerait son identité.
La jeune femme décida de se faire passer pour une certaine Miss Stephenson. Ce nom ne fut pas difficile à choisir, c'était celui de la boutique de chapeaux qui se trouvait en face de l'établissement. Consciente que la plupart des enfants issus de bonne famille portaient au moins deux prénoms de baptême, elle arrêta son choix sur Esther, le prénom de sa maquerelle qui, malgré ses apparences patibulaires, se montrait très heureuse de voir une de ses filles s'en sortir ainsi.

C'est ainsi que la jeune femme fit la connaissance de Lord Ashworth. Vite séduit, il ne fallut pas un mois pour conclure à un mariage. Quelques semaines plus tard, Johan lui aussi convola en justes noces avec la fille du notaire chez qui il travaillait avant de partir pour le Nouveau Monde, où le ménage avait trouvé un terrain à un prix très avantageux pour établir leur cabinet. Alors que le bateau s'éloignait, Chastity comprit trop tard qu'elle avait aimé cet homme.

1783 – 1838 : ''Même les Princes de France avec leurs magnificences, n'égaleront jamais en vous cet orgueil qui se joue d'insolence...''

La vie au côté de Lord Ashworth fut bien plus intéressante que ce que Chastity avait pu imaginer. Déjà impuissant, le vieil homme n'imposait pas à la jeune femme ses envies lubriques, se contentant de lui demander l'affection et les soins qu'il aurait pu attendre des enfants qu'il n'avait jamais eu. En retour, il permit à la Vampire de poursuivre son apprentissage musical. Il lui offrit également un maître à danser et un professeur d'équitation, afin de parfaire son éducation de Lady. De l'organisation des événements mondains à la façon de se tenir en société, rien ne fut laissé au hasard. Informés de la maladie dont souffrait la jeune épouse, les professeurs ne se formalisèrent pas de lui faire suivre les cours soit dans une pièce aux fenêtres occultées, soit à l'extérieur, bien protégée par des vêtements qui recouvraient entièrement son corps.
La jeune femme continua également ses travaux, en parallèle de ceux qu'elle mena avec son mari. Devenue une Lady accomplie en trois ans, avec juste ce qu'il faut d'orgueil et de fatuité, elle fit la fierté du Lord qui ne cessa de l'emmener de soirées en soirées. Cette période de fastes ne dura pas ; le vieil homme mourut dans son sommeil l'année suivante.

A présent veuve, Chastity se retrouva à la tête d'une fortune considérable dont elle avait entièrement l'usage. Fascinée par l'invention de Watt, elle l'étudia avec soin et la transforma habilement, créant un modèle plus élaboré et plus performant. Détentrice de son propre brevet, elle investit dans une usine et commença la production. Dès les premiers mois son affaire se révéla très prometteuse et en moins de vingt ans elle devint une des premières en Grande Bretagne ; pour éviter de voir sa nouvelle réputation salie par une quelconque accusation d'opportunisme, la jeune femme décida d'effacer la mémoire de tous ceux qui se souvenaient encore de son défunt mari. Cette tâche demanda de nombreuses heures de préparation, entre la manipulation des mémoires et la falsification des dossiers administratifs, à commencer par son contrat de mariage.
Cependant, la jeune femme soudoya plusieurs Vampires pour l'aider dans sa tâche. Elle manipula des hommes, créa des identités, falsifia des documents et en effaça beaucoup d'autres afin de se fabriquer un passé sans ombre au tableau. Elle ne laissa rien au hasard si bien qu'aujourd'hui, ses malversations étaient impossibles à prouver.
Pour Southampton, Chastity était à présent une jeune femme qui avait hérité de son père, premier possesseur de l'usine, mort dans des circonstances nébuleuses.

1838 – 1842 : ''Les soucis d'une fortune à édifier entraînent presque fatalement la dureté du cœur.''

En l'an de grâce 1838, la Stephenson Steam Company possédait des succursales dans tous les pays d'Europe mais aussi en Amérique, en Inde, en Chine et au Japon. Mondialisée avant l'heure, cette entreprise rapporta des millions à la jeune femme et presque tout autant à l'état. Devant l'importance de sa personne pour l'économie de la Couronne et malgré les rumeurs qui circulaient sur elle, femme parvenue sans rang et sans mari, la jeune femme décida de s'établir dans la capitale, emmenant avec elle ses domestiques et surtout sa chère camériste, Gracie.
Elle acheta un vieux manoir qu'elle fit entièrement refaire à neuf et qu'elle meubla avec goût, utilisant ses comptoirs de l'autre bout du monde pour faire venir des objets d'arts asiatiques à cette époque où ils étaient très prisés dans les salons.
Les premiers temps, l'arrivée de cette femme d'affaire étrangement malade suscita la crainte mais grâce à son éloquence et son charme, elle eut vite fait de rallier bon nombre de nobles et de hauts bourgeois à sa cause.
Elle rejoignit également la Camarilla mais les pontes de cette secte la gardèrent jalousement, comme un monstre dangereux. Sa nature hybride devint un sujet sensible ainsi que les travaux scientifiques protégés par le sceau du secret que la jeune femme menait sur les créatures de la nuit.

Aujourd'hui, la jeune femme est en passe d'entrer dans les grâces de la Reine mais pas dans celle de sa secte. Soupçonnant de plus en plus la tentative d'assassinat, elle se tourne vers l'indépendant Comte Kei, le seul qui soit en mesure de la protéger.