Un nouveau jour, une nouvelle vie

[06/06/42]

Eulalia, Raphaël



Précédemment: Juste Peine

Eulalia rajusta les manchettes de sa robe en percale noire et enleva lentement sa capote alors qu'elle pénétrait dans l'église. Sur le palier, ses valises étaient gardées par un valet de pied de Lady Worlingham, visiblement aux aguets. Le père Matthew, haut et droit dans son aube noire, l'accueillit d'un sourire chaleureux et fit une révérence à la vieille Lady qui l'accompagnait.

- Miss Grey, je suis très heureux de vous voir enfin. Merci infiniment de me faire la grâce de votre soutien dans cette entreprise. Lady Worlingham, merci infiniment d'autoriser votre pupille à oeuvrer auprès de moi. Au regard de Dieu, la charité dont elle fera preuve ne sera pas oubliée.

- Oh je n'y suis pour rien, mon père. Eulalia m'a pressée de la laisser oeuvrer au bénéfice des plus démunis. Que voulez-vous, c'est une enfant de pasteur elle a cela dans le sang.

La jeune femme sourit et laissa l'homme d'église entretenir la lady des tenants et aboutissants du projet d'hospice de jour destiné aux enfants des rues, lui présenter les locaux ainsi que l'endroit où elle logerait. Tout ceci paraissait honnête et véritable mais la chasseresse savait que l'hospice, tenu par ailleurs par plusieurs bonnes soeurs, ne serait qu'une façade à sa véritable activité : faire vivre le nouveau quartier général des Hunters et aménager son infirmerie.
Depuis sa dernière visite dans leur pauvre résidence de l'east end, Eulalia n'était pas revenue les voir. On l'avait tenue informée, par message codé, des déménagements et de la réorganisation de leur association. Mieux valait donc qu'elle se fasse discrète avant un avis contraire, pour ne pas prendre le risque de les révéler en venant au mauvais moment.
Vers la fin mai, une nouvelle missive lui était parvenue, accompagnée d'une coupure de journal mondain qui informait de la création de l'oeuvre de charité de Brompton. Elle n'avait donc plus eu qu'à feindre une envie soudaine de s'occuper des nécéssiteux auprès de sa marraine pour que cette dernière accepte, séance tenante.
Eulalia n'était vraiment pas mécontente de cette initiative. La vie d'aristocrate n'était pas faite pour elle. Malgré la prévenance et la douceur incroyable de sa famille d'accueil, elle ne s'était jamais sentie totalement à sa place dans ce monde éloigné des réalités, de sa mission de Hunter. Faire bonne figure aux thés et dîners, se laisser scruter par des femmes de la haute société avides de faits divers sans savoir comment agir n'était vraiment pas la vie qu'elle avait choisi de mener. Elle savait que les Hunters avaient eu besoin d'une couverture, de la savoir à l'abri. Mais elle ne pouvait plus souffrir d'être loin de l'action, loin de ses camarades, loin de Raphaël, dont elle n'avait plus eu de nouvelles depuis un mois.

Après sa dernière visite au QG et son altercation avec Alexender, elle avait beaucoup ruminé. Avec beaucoup de sérieux, elle s'était demandé si la hargne et la foi aveugle de sa volonté de rédemption avaient du sens. Si leur amour était voué à autre chose qu'à l'échec. Si leur attirance n'avait été rien d'autre que le fruit de la terreur du lendemain, d'une attirance charnelle qu'elle avait, dans sa fougue aveugle, attribué au divin alors qu'elle n'était que péché.
Eulalia avait prié beaucoup, pensé longtemps et pleuré parfois. Elle s'était fustigée, méprisée, conspuée. Mais la lueur d'espoir, d'amour qu'elle sentait briller au fond de son coeur n'avait jamais faibli. Depuis la mort violente de ses parents, depuis trois mois, cette soirée au Queen's Heads, sa vie s'était liée à la sienne. C'était fulgurant, impossible à croire ni à prévoir mais c'était ainsi. Pour le meilleur comme le pire. Le mieux qu'elle pouvait faire était de reprendre l'entraînement, affiner ses dons, soigner ceux qui en avaient besoin et advienne que pourra.

Une fois que le tour du propriétaire fut achevé et qu'Eulalia se sépara de Lady Worlingham, non sans moult promesses de promt retour et de visites régulières, le père Matthew s'empara de ses valises et l'emmena vers l'hospice. Une fois dans les quartiers des nonnes, ils bifurquèrent vers la réserve et traversèrent un long couloir de caisses et d'étagères rouillées, avant de débouler dans une salle en pierre de taille très propre, qui semblait ressembler à une salle de réunion.

- Les nonnes que nous avons croisées sont complices de notre petite affaire. Cette entrée du repaire n'est accessible qu'avec une clé. Seuls les membres de votre organisation et moi-même en possédons un exemplaire. Voici le vôtre.

Les couloirs semblaient déserts, malgré le jour qui déclinait.

- Je vais vous emmener auprès de vos compagnons, ils s'occuperont de vous faire visiter et de vous installer dans vos quartiers. La chambre que vous occuperez officiellement à l'hospice a déjà été fournie du strict nécessaire : robes de fonctions, tabliers, nécessaires de toilettes... Vos affaires plus... personnelles dirons-nous, seront stockées ici.

Alors qu'ils déambulaient dans les couloirs, des bruits de voix et des effluves de nourritures commencèrent à être perceptibles. Le père ouvrit sur sa gauche une lourde porte en bois et déboula dans un réfectoire, où la troupe semblait prendre sa collation de six heures. Avec un sourire jovial, il déposa la valise et s'avança, alors que la jeune Huntress avançait timidement derrière lui.

- Mes chers amis, pardonnez-moi de vous déranger en plein repas ! J'ai plaisir de vous annoncer que notre responsable d'infirmerie est enfin arrivé ! Certains la connaissent déjà, d'autres non. Je vous demanderai cependant de lui faire bon accueil et de lui faire visiter les lieux. Avancez donc Miss Grey.

Eulalia déglutit et pénétra dans la lumière. Elle serrait dans une main un énorme sac de voyage et dans l'autre, un tube à ombrelle qui cachait, en réalité, sa rapière. Sa capote pendait dans son dos, retenue au cou par un ruban de velours noir. Ses yeux myopes balayèrent l'assemblée avec grande difficulté. Elle n'avait pas eu le temps de mettre ses lunettes avant de partir.

- Je suis ravie de me retrouver ici avec vous. J'espère que ce nouveau quartier général nous permettra de lutter plus efficacement encore contre les forces qui nous menacent. Merci de m'accueillir parmi vous.

Elle cherchait, en vain, une tête réellement connue dans l'assemblée. Il n'y avait là que des individus qu'elle avait croisé une fois ou deux, voire de totales nouvelles têtes. Avaient-ils déjà entendu parler d'elle ? La voyaient-ils, eux aussi, comme une catin à vampires ?
Ses mains se crispèrent alors que le Père Matthew la laissait là pour aller préparer sa messe. Encore une fois, elle démarrait une nouvelle vie.

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